Comment est né le scénario de Rebelle ?
A l’origine, j’ai lu cette brève sur deux enfants birmans, devenus des figures sacrées pour un groupe de rebelles qu’ils guidaient spirituellement et stratégiquement. J’ai creusé la question des enfants-soldats et de fil en aiguille, je me suis orienté vers l’Afrique : les mines de diamants, les événements de Sierra Leone, m’on beaucoup influencé pour l’univers du film.
Votre précédent film, La Cité, se passait déjà en Afrique sur fond de guerre. Pourtant vous ne situez pas l’action précisément, de même que vous ne faites pas de procès à charge. Pourquoi ces choix ?
Peut-être est-ce un peu peureux, mais je voulais m’éloigner d’une cause particulière pour mettre la lumière sur des principes plus macro, plus universels. En fait il y a des morceaux de politique, mais ils sont digérés par cet être, cet enfant-soldat. Je voulais raconter le film de son strict point de vue. J’ai donc fait en sorte que toutes les réalités qui sont exposées dans le film, le soient à travers le regard de l’enfant.
Je souhaitais m’éloigner du film à message et, aussi, d’une certaine polarisation des enjeux. Prenons l’exemple de l’exploitation minière du coltan : c’est une des grandes sources de conflits au Congo. Si je me mets dans la peau de cet enfant, je n’ai pas conscience du contexte politique. La seule chose que l’on m’ait dite, c’est : le coltan est très important, il faut le cueillir pour financer et gagner la guerre. Je me suis donc limité à cette réalité là.
La sorcellerie est très présente, quelle est sa part de réalité et d’invention ?
Esthétiquement, formellement, il y a beaucoup d’inventions. Par exemple la séquence de magie ne se passe pas forcément telle que je l’ai mise en scène, même si le principe de donner de la drogue aux enfants existe. J’ai entendu parler de trucs… Ils mélangent de la cocaïne avec de la poudre de balle, ils font une incision dans le bras pour y frotter la poudre magique…
Pour moi la séquence de magie est lyrique, elle doit avoir quelque chose de maternel, d’enveloppant. Donc le principe est basé sur mes recherches mais les choix formels ont été inventés.
Vous avez porté ce projet pendant dix ans ; l’écriture a beaucoup évolué ?
Je suis allé vers la simplicité. Au départ la construction n’était pas chronologique et finalement, cette narration linéaire s’est écrite au montage. La présence de Rachel Mwanza [la jeune interprète du rôle de Komona, ndlr] était tellement puissante que déconstruire le film nous éloignait de sa force. On a découvert qu’il était inutile de vouloir être virtuose…
C’est pour cela que vous utilisez une caméra portée, à hauteur d’enfant, et que vous avez gommé les plans d’ensemble ?
Oui et pour moi, ça a été déchirant… Nous avions des plans d’ensemble magnifiques, sur la jungle, le village sur pilotis… Mais ces plans ne fonctionnaient pas, leur respiration perdait la tension dramatique. Ils étaient le point de vue démiurge et je voulais rester dans une focalisation zéro, dans le regard de Komona.
J’ai fait beaucoup de plans d’ensemble dans le passé mais je pense que je vais en faire de moins en moins.
Qu’avez-vous appris avec ce film ?
C’est mon quatrième film mais à certains égards, je sens que c’est le premier. Au fil de mes précédents projets, il y avait des facteurs de pression grandissants avec les producteurs, les distributeurs, la recherche du succès commercial qui peut nuire à l’authenticité ; et puis mes propres insécurités aussi…
Pour ce film j’ai détruit mes lego, j’ai cassé la maison et j’ai recommencé à zéro. Je suis retourné à mes 17 ans, quand je prenais des photos : être dans le moment, ne pas avoir d’a priori, regarder ce qui est là et le capturer. Pour moi, c’est une forme de libération.
Vous êtes à la fois scénariste et réalisateur. C’est un choix personnel ou un concours de circonstances ?
J’aimerais beaucoup travailler avec des scénaristes, mais je n’ai pas encore trouvé d’auteur avec lequel collaborer. Car je crois qu’il est beaucoup plus difficile de devenir bon scénariste que bon réalisateur. Je considère qu’après 20 ans d’écriture, je commence à maîtriser un peu la forme et la structure, l’équilibre entre la spontanéité, l’impertinence, et la rigueur dramatique. Les bons scénaristes sont des mines d’or !
Rebelle est une production 100% canadienne. Vous avez eu carte blanche ?
Carte blanche ça n’existe pas, mais je crois que j’ai bénéficié d’une situation où j’ai eu le plus de liberté dans notre industrie cinématographique. J’ai eu la confiance du distributeur, du producteur, aucun casting ne m’a été imposé… C’était étrange mais même mon distributeur m’a dit « Kim, fais ton film, ne te préoccupe pas du box office ». Et c’est rare qu’on ait cette opportunité et cette confiance.
Ma plus grande récompense, c’est d’avoir réalisé le film que j’ai voulu faire… et je suis conscient que cela n’arrive pas souvent dans une vie.