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Certaines expériences laissent perplexes, quand elles ne font pas carrément froid dans le dos. Soigner avec un courant à haute fréquence? C’est le pari – pas si fou – de Jacques Arsène d’Arsonval. Marion Guyonvarch.
Regardez bien cet homme en photo, assis dans une drôle de cage. Si vous mettiez une ampoule dans la main, elle s’allumerait? Magie? Superpouvoirs? Spectacle d’illusionnisme? Que nenni! L’homme en costume cravate n’est en réalité un traitement médical basé sur l’utilisation des ondes à haute fréquence, mis au point par le médecin et physicien français Jacques Arsène d’Arsonval à la fin du xix^e siècle. La cage au milieu de laquelle se tient ce patient est parcourue par un courant alternatif haute fréquence, dont il est complètement isolé.
Il ne ressent rien si ce n’est une douce chaleur, mais de vif n’aurait pu conduire une telle grâces à la puissance de l’induction! Mais n’ôtant qu’homme n’est, pas à l’abri d’aller vers une assoce. Il souffre d’artériosclérose, une pathologie cardiovasculaire que les heures passées dans cette cage à être bombardés d’ondes invisibles vont guérir. C’est en tout cas la promesse de cette thérapie révolutionnaire baptisée la d’arsonvalisation.
« Refaites vos expériences, je veux vous épargner le déshonneur de les publier! »
Nous sommes au début des années 1890. Médecin brillant, formé par Claude Bernard – le pionnier de la médecine expérimentale au Collège de France –, Jacques Arsène d’Arsonval a une solide réputation de génie touche-à-tout.
Passionné par l’électricité, il expérimente sans relâche, détournant par exemple les premiers téléphones en stéthoscopes pour tester des déclics de courants électriques dans les tissus vivants. Il invente au passage le premier téléphone agréé par les PTT, ou encore la bouteille Thermos.
À partir de la fin des années 1880, le savant s’intéresse aux courants haute fréquence et découvre au fil de ses expériences que les muscles ne sont pas excités lorsqu’on les stimule avec un courant supérieur à 10000 Hz. Passés 5000 Hz, leur excitabilité décroît en effet jusqu’à devenir nulle.
C’est une révolution! Sa découverte, confirmée par les travaux de l’Américain Nicolas Tesla, n’est d’abord pas prise au sérieux. À l’Académie de médecine, où il présente il ses conclusions en 1894, le secrétaire lui rit presque au nez.
«Voyons, mon cher d’Arsonval, ce n’est pas sérieux! Vous assurez que le corps humain peut être impunément traversé par des courants des milliers de fois plus forts que ceux qui mous foudroient! (…) Allons, refaites vos expériences : je veux vous épargner le déshonneur de les publier avant que vous ayez rectifié votre erreur. »
Mais il n’y a pas d’erreur, et Darsonval constate même que ces courants haute fréquence ont un pouvoir analgésique et qu’ils font baisser la pression artérielle. Aussi folle semble-t-elle, cette découverte est porteuse d’espoirs : on devrait pouvoir soigner par la haute fréquence une multitude de maladies comme l’hypertension, les rhumatismes, la migraine…
Si les réticences se dissipent rapidement, c’est que l’utilisation de l’électricité dans un cadre thérapeutique n’est pas nouvelle. À Rome, Scribonius Largus, médecin de l’empereur Claude au per siècle apr. J.-C. recourait déjà aux décharges électriques de poissons torpilles pour traiter la migraine ou la goutte. Dès le xvII® siècle, les progrès de la science et de la compréhension des phénomènes électriques renforcent l’intérêt des médecins.
L’électricité médicale devient une discipline de la médecine officielle
Au xx siècle, tous les progrès en électricité furent immédiatement suivis par des applications médicales, souligne Paolo Brenni, ancien chercheur en histoire des instruments scientifiques, et collaborateur au musée Galilée, de Florence. La franklinisation avec l’électrostatique, la galvanisation avec les courants continus, la faradisation avec les courants variables.
Le neurologue français Guillaume Duchenne de Boulogne utilise, par exemple, les électrodes pour diagnostiquer les maladies dégénératives, tandis que son célèbre confrère Jean-Martin Charcot fait installer un premier laboratoire spécialisé à la Salpêtrière en 1875, où plus de 200 patients sont traités chaque jour grâce à l’électricité.
Dans ce contexte, l’attente vis-à-vis des courants à haute fréquence est grande : on affirme même qu’ils vont pouvoir soigner la tuberculose, le diabète ou le tétanos!
De grands espoirs pour le traitement de la maladie de Parkinson et la dépression
En 1895, la « darsonvalisation» est en marche. Un service dédié voit le jour à l’Hôtel-Dieu et de très nombreux médecins installent dans leur cabinet les lourds équipements nécessaires à sa pratique.
Car pour être traversé par les ondes électriques, le patient doit être placé dans une cage d’auto-conduction comme sur la photo page précédente ou allongé sur un lit condensateur spécial. Un arsenal quasi industriel que Darsonval ne cesse de perfectionner dans son laboratoire de Nogent-sur-Marne, fondé en 1910, au sein duquel I collabore avec des physiciens, des ingénieurs, des constructeurs d’appareils physiques, des médecins électriciens…
reuve de l’immense renommée de Darsonval • et par ricochet de la darsonvalisation-, son jubilé est célébré en 1933 en présence du président de la République de l’époque, Albert Lebrun! Mais la France est une exception.
Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’électrothérapie est réservé à des thérapeutes autodidactes qui vantent leurs traitements miracles. Comme Otto Overbeck, chimiste britannique, qui fait fortune dans les années 1920 grâce au Rejuvenator, un appareil électrique qui provoque des décharges électriques censées rajeunir. Les showmens usent et abusent aussi des superpouvoirs de l’électricité.
Derrière leurs pseudos évocateurs, «Doctor Resisto», «The Human Battery», ou «The Electric Wizard» séduisent le public à grand renfort d’étincelles et d’électrocutions haute fréquence indolores. La star du genre, qui sera parodiée par Charlie Chaplin, est l’Écossais Samuel Murphy Bodie, qui remplit les salles en allumant des ampoules comme par magie, dans un numéro que Darsonval n’aurait pas renié.
Malgré ces charlatans, l’électricité médicale à haute fréquence est utilisée en Europe jusque dans les années 1930, faisant notamment ses preuves pour soigner certaines maladies de peau, les arthrites, les névralgies ou certaines tumeurs. Remplacée peu à peu par des traitements médicamenteux prometteurs, elle fait aujourd’hui un retour en fanfare grâce à la stimulation cérébrale profonde.
Expérimentée pour la première fois en 1993 au CHU de Grenoble par le professeur Alim-Louis Benabib, cette technique fait des miracles dans le traitement de la maladie de Parkinson. Cette stimulation localisée corrige les effets de l’insuffisance en dopamine et réduit fortement les symptômes moteurs de la maladie, à dix ans selon une étude américaine présentée lors du congrès de l’American Academy of Neurology en 2021.
Cette technique, qui a valu à son inventeur le prix Lasker en 2014, est aussi utilisée pour traiter « l’épilepsie, les troubles obsessionnels compulsifs ou du comportement alimentaire, la dépression, certaines addictions, les algies de la face.
Son impact sur la maladie d’Alzheimer est à l’étude», détaille le professeur Benabib dans une interview à Paris Match en juillet dernier. Darsonval n’avait pas tort : l’électricité est bien le remède du futur.